Ancestors over a drink (Feat. Keeghan)

17 janvier 2019

Ancestors over a drink

Cette nuit, le ciel est profondément noir, sans lune, propice à éveiller la peur et le chaos chez les âmes sensibles et pour d’autres, propice à tous les excès, d’amusement et de beuverie, moment où la vraie vie pouvait commencer. Loin des nuits parisiennes ou new-yorkaise, Lakewood avait tout de même de quoi satisfaire nos envies nocturnes. Et les récents événements ne dérangeaient en rien les habitudes des habitants qui étaient restés, qui n’avaient pas fuis hors de la ville, alors même que la magie avait été révélée aux yeux de tous. Peut-être même que cela les avait attiré davantage, notamment ces quelques curieuses personnes qui voyaient en mon club une nouvelle attraction. C’est justement au Fangtasia que je me rendais, seul club interracial et branché, dont la réputation n’est plus à faire et qui s’étend au-delà des frontières. Désormais tout le monde sait qu’il s’agit là d’un réel repère de vampires. Et les mortels adorent ça, affluant de toute part, à toute heure de la nuit. Les moins courageux viennent, quant à eux, lorsqu’il fait jour, histoire de faire un repérage et d’amoindrir leur peur. J’aime cet endroit mais désormais, je m’y rends le cœur serré. Autrefois, ma famille y était à son aise, côtoyant les immortels démons et autres sorciers sans aucune distance politique. Moi-même, j’aimais m’y retrouver pour réfléchir ou amuser mon esprit, tout en discussions discrètes et plaisantes, en tintements de verres emplies de bulles festives de champagnes, de bordeaux et autres whisky grand cru, sans oublier bien entendu, nos chères liqueurs sanguines. Mais il y a deux jours, un groupe de démons a semé le chaos dans la ville, kidnappant trois êtres magiques, dont un vampire. Un de mes fils, Keyron. Cela s’est produit alors qu’il se trouvait à l’extérieur du club, fumant une cigarette, pensant qu’il s’agissait là d’une soirée comme une autre, qu’il était à l’abri auprès de ses frères et sœurs, de cet endroit qui était sien. A ce jour, il était encore détenu et cela me rendait folle de rage de ne pas être allé à son secours. Les enjeux étaient importants et concernant une grande partie du camp des Bénéfiques, c’est pourquoi il m’a été conseillé de prendre mon mal en patience, que nous arriverions à le secourir et le venger comme il le méritait, comme nous le méritions tous. Et alors que j’en approchai, je ne me rendais pas vers la porte principale où une foule déconcertante s’y trouvait, mais vers celle invisible aux simples innocents. L’entrée des immortels était en effet tenue à l’écart mais n’avait rien à envier à la principale, ni son tapis rouge, ni même l’ornement sculpté de ses portes. Des deux côtés toutefois, bien que l’accès y soit toujours plus fluide, l’accueil sous la voûte d’entrée était à présent très contrôlée, même pour les habitués. Notre rapidité nous permettait d’accélérer les fouilles et notre récente alliance avec les Fondateurs eux-mêmes, nous avait permis d’obtenir des détections magiques plus poussées, me rassurant quelque peu. Comme à son habitude, Nikolaï, mon premier fils, mon Général et accessoirement gérant du club, ne manquait jamais de venir à ma rencontre dès mon arrivée à quelques mètres du club. Gentleman, il me prend par le bras, nous montons ensemble les quelques marches menant à l'entrée, il m'ouvre le chemin, s'enquiert de mes nouvelles qu'il pimente d’une plaisanterie bien sentie, notamment lorsque j’ai dû passer la journée auprès de mortels, à me faire passer pour l’une d’entre eux, bien qu’aujourd’hui certain me savait désormais Reine. Puis il me débriefe rapidement de quelques nouvelles avant de finir sur une touche cette fois-ci beaucoup plus sérieuse, en me parlant des derniers ragots de nos chers clients concernant l’affaire en cours.

Dans mon club, on peut s'amuser sans entraîner un massacre de quatre-vingts personnes par semaine. Alors certes, il y avait des humains dont nous pouvions nous nourrir, mais hors de question de faire ça au beau milieu de la piste de danse, non, pour cela il suffisait de rejoindre une petite alcôve derrière des rideaux de velours et s’amuser à l’abri des regards. En général la grande majorité des mortels étaient des personnes totalement consentantes, des volontaires en quête de sensations fortes ou d'une pseudo amourette avec un être vampirique. Et non, contrairement à ce que certains disent, vous ne trouverez pas non plus dans nos caves, des cages où de jeunes vierges y seraient enfermées et dont leur sang serait versé directement dans un tonneau. Nous devons hélas ces rumeurs à d’anciennes pratiques datant de période où le libertinage était encore à la mode et où il avait été reproché à certains immortels d’avoir des mœurs légères et des pratiques vicieuses. Il s’agissait là de jeunes vampires, incontrôlables et pourvue d’une profonde dépravation ; mais cette étiquette nous colle encore à la peau. Toutefois, ma lignée ne comporte que, ce que l’on pourrait qualifier de vampires modérés, si je puis dire. Nous ne sommes pas des revenants insatiables surgissant des profondeurs obscures pour ôter toute substance vitale aux humains après les avoir pervertis. Je peux vous le certifier, il n’y a guère d’esclaves sexuels, nous ne prenons pas les mortels pour de vulgaires poupées faites pour satisfaire nos désirs les plus secrets en les violant. Non, ces actes abominables, on les laissent pour les mortels à l’esprit dérangés et adeptes de sadomasochismes. Nous autres vampires, nous aimons la séduction et les plaisirs intellects. Alors oui, les jeux charnels en font parti et c’est d’ailleurs de là que cette étiquette du fétichisme sexuel sanguin est apparue puisque notre excitation est principalement associée au goût du sang, je l’avoue. Cela étant dit, il vous faudra alors garder à l’esprit, que ce club qui se rapproche plus du luxe que de la luxure, est fait pour satisfaire toutes sortes d’appétits et que les envies les plus simples sont souvent les meilleures.

Après avoir abandonné le bras de Niko, je me rends au comptoir, échangeant une bise avec la barmaid qui se rapproche de moi. Elle me tend ensuite une flûte de Sang pétillant, je commence toujours par une boisson légère et le champagne sied bien à mon envie du moment. Nul besoin d’échanger de vulgaires banalités de bienséances avec elle, pas de ça entre nous. Je parcours l’immense salle du regard avant de concentrer mon attention sur l’un des coins VIP d’où un visage des plus charmants ne m’était pas inconnu. Il s’agissait de Keeghan Wardley, un très vieil ami, nouvellement installé en ville. Il faut savoir que le temps est relatif dans mes propos, puisque par nouveau, j’entends que cela fait moins d’une petite décennie qu’il est arrivé ; et par vieux qu’il possède avec moi, un écart d’un peu plus d’une centaine d’années. Et oui, il existe des êtres plus âgés que moi, toutefois je puis vous assurer que l’ancien est resté un bel homme autant physiquement que moralement. D’ailleurs, en parlant de temporalité, le don principal de ce démon est la Chronokinésie. Il peut ainsi se jouer de l’écoulement du temps. Si je le fréquente, autrement par le fait qu’il soit un habitué VIP du club, c’est surtout pour son côté spécialiste dans la lecture et l'interprétation d'un objet unique, ou devrais-je dire, magique. On peut lui demander de découvrir quelles propriétés certains artefacts possèdent, d’en retirer la protection magique qui en empêchait l’ouverture ou mieux encore, qu’il nous retrouve l’objet de nos convoitises. Si tant-est que l'on connaissait le dernier endroit connu de l’artefact en question, il pouvait alors revenir à cette époque à sa guise, afin de le dérober et revenir dans le présent. Impressionnant oui. Quoi qu’il en soit, Niko m’avait averti de son arrivée. Il était l’un des seuls démons à avoir encore l’accès au club, la majorité d’entre eux ayant été bannis suite à l’enlèvement d’un des nôtres. Bannis, ou tués… à ce moment-là, j’étais moi-même incontrôlable, alors je n’ose vous raconter dans quel état Niko se trouvait. Il avait eu du mal à s’en remettre, culpabilisant que cela soit arrivé sous sa direction. Ainsi, voyant que Keeghan n’avait point de compagnie ce soir, je me décide à le rejoindre, traversant la pièce sans que la foule ne me touche, merci à mes capacités vampiriques pour cela, je n’apprécie guère être bousculée ou touchée sans que je ne l’autorise, et m’arrête devant sa table, un sourire enjôleur au coin des lèvres. « Puis-je vous faire l’honneur de mon humble présence ? » déclarais-je alors dans un français impeccable me permettant ainsi l’usage du vouvoiement comme je le faisais à chaque fois que l’envie me prenait de marquer une certaine politesse. Cela doit vous étonner que je considère encore un démon de sa trempe comme un ami, mais voyez-vous, c’est parce que justement, nous avions connu des époques plus rudes, parfois même en temps de guerre, qu’il nous était possible de se côtoyer en relativisant les circonstances qui nous entouraient.

Codage par Libella sur Graphiorum