Ce monde est-il pour toi ? Feat. Hope

Ce monde est-il pour toi ?

Le parfum floral dont je m'étais enveloppée, savant mélange de jasmin et de violettes, me suivait encore alors que j'ajustais ma tenue pour la dernière fois. Ces manifestations mondaines étaient aussi utiles que qu'inévitables et il était nécessaire que j'y apparaisse sous mon meilleur jour. Lissant les plis de ma robe de velours, je parfis ma tenue d'une paire de boucles d'oreilles d'obsidienne.

Le plus clair de mon temps, je le passais à l'Hôtel de ville mais mon rôle ne s'arrêtait pas là. Bien d'autres aspects m'incombaient en tant que Maire dont celui d'accepter les sollicitations à me rendre aux manifestations locales. Je voulais véhiculer une image de disponibilité et de sollicitude auprès des mes concitoyens : aussi, je faisais mon possible pour apparaître aux événements où ma présence était requise qu'il s'agisse d'une simple réunion ou d'une soirée caritative.
Je n'avais pas vraiment d'avis sur la question, à vrai dire. C'était dans mes missions et ça s'arrêtait là. Comme tout à chacun, j'aimais parfois les moments au calme mais on ne pouvait pas dire que j'avais une situation familiale me permettant de les partager avec quelqu'un...
C'est donc avec un haussement d'épaules légèrement maussade que je refermais la porte de la maison à double tours et que je remontais la Lincoln avenue en faisant claquer mes talons sur les pavés.

Aujourd'hui, l'initiative allait aux Helsink. Ce couple avait pour habitude de donner ce genre de réceptions de temps à autre. J'y étais invitée par commodité et à cause de mon statut car celles-ci n'étaient pas faites pour m'apporter quoique ce soit. Mais M. Helsink était l'un de mes associés aussi, c'était une façon de lui montrer qu'il pouvait toujours compter sur mon soutient, moral et sans doute financier si le besoin s'en ferait sentir un jour. Mais lorsque la lourde porte s'ouvrit, ce fut le visage de sa femme qui me fit face. Une charmante personne qui se confondait de gentillesse et qui savait se rendre utile à son prochain. C'était des gens bien.
La politesse retournée, elle me fit entrer et ce fut alors l'habituel festival de civilités, de poignées de mains et tout le cérémonial de galanterie qui allait avec. Ceci étant fait, j'arrivais maintenant au moment que je redoutais le plus. Car c'était le moment où on m’alpaguait généralement en tout sens pour m'exposer ses doléances, ses remontrances parfois, me parler de choses et d'autres, du budget prévisionnel, de tel dossier ou de l'expansion de cette dernière entreprise installée sur le territoire de la ville.

Polie, j'écoutais tout ceci d'un air circonspect sans pour autant promettre monts et merveilles car je n'étais pas de celles qui signait des affaires sur un coin de table, aussi richement présentée soit-elle. On s'était empressé de me mettre un verre dans la main, auquel je ne touchais pourtant pas car je m'appliquais à ne pas avaler une seule goutte d'alcool, encore moins en public. Ce n'était pas en accord avec l'image que je voulais dévoiler.
Je reculais d'un pas pour éviter le large mouvement de bras du directeur de la banque qui emporté dans ses explications, ne s'était pas rendu compte de la circonférence de son geste. C'était pour moi, le signal qu'il était bien trop absorbé par sa discussion pour que je puisse m'éclipser sans lui faire d'affront.

Alors, une petit voix s'éleva à côté de moi. Je tournais la tête et baissais le regard vers la jeune femme à la robe fleurie qui me parlait. Peut-être voulait-elle aussi s'entretenir avec moi d'une affaire professionnelle ? Ce ne serait assurément pas la dernière de la journée. Mais sa requête fut finalement, toute autre et je l'observais une fraction de seconde avant de lui répondre :
⋄ Bien-sûr, je vais vous y amener. lui assurais-je avec douceur. Maladroitement, je posais ma main sur son bras pour qu'elle puis s'y agripper à son tour avec aise. Puis je la guidais le mieux possible jusqu'à la destination demandée, en veillant à lui décerner le passage le plus sur et le moins encombré parmi les convives. Elle me remercia et je m'interrogeais intérieurement car elle semblait me prendre pour bien plus jeune que je ne l'étais en réalité. Était-les consonances de ma voix qui lui faisait penser ainsi ? C'était bien la première fois que je me souciais de comment mon timbre vocal pouvait être perçu...Pendant que je me faisais cette réflexion, je la vis tâtonner les rebords de table et ceux des assiettes. Alors, je posais avec hâte ma main sur la sienne tant pour stopper son mouvement que pour l'empêcher de mettre les doigts dans les petits fours.
⋄ Puis-je faire autre chose pour vous ? Peut-être souhaiteriez-vous...boire ? demandais-je en lui mettant délicatement ma propre flûte de champagne que je n'avais pas touché contre la paume de sa main pour qu'elle s'en saisisse. Ou non d'ailleurs. J'observais son visage encadré de cheveux blonds et son regard clair qui aurait pu être expressif s'il n'était pas emprunt de cécité. Vous devez être Mademoiselle Karlsen, n'est-ce pas ? Votre tante m'a beaucoup parlé de vous... En bien d'ailleurs, car il était vrai que quand Madame Helsink l'avait évoqué, c'était pour en dire des éloges.

Ce monde est-il pour toi ?

Elle resserra ses doigts sur la flûte pétillante que je lui tendait, esquissant un fin sourire que j’interprétais comme un nouveau remerciement. Cependant, bien qu'elle le cachait habilement, je pus constater que l'évocation de sa tante n'eut pas l'effet que j'avais escompté. Moi qui pensait ainsi entamer une conversation agréable, voilà que la situation s'engageait mal. Mon pouvoir d'empathe à l'oeuvre, je sentis sa rancœur passagère envers cette femme et je compris bien vite pourquoi. Fronçant les sourcils, je jetais un œil vers Mme. Helsink : elle discutait avec emphase un peu plus loin et je peinais à croire ce que je venais d'entendre à son sujet. Je pinçais les lèvres, trouvant la situation légèrement inconfortable.

⋄ En effet, elle me l'a signifié. Mais pas de la façon dont vous semblez le croire. répondis-je sobrement pour ne pas approuver ses dires, ni dénigrer qui que ce soit. Comme le dit l'adage, nul ne sait ce qu'il se passe réellement dans les foyers lorsque la port est close et ce n'était pas mon rôle de le savoir. Toutes les familles avaient leurs problèmes et j'avais de toute façon, trop de tracas avec la mienne pour m'en soucier. Hilda Helsink aime entretenir sa notoriété et peut-être est-ce parfois maladroit. Mais il ne faut pas lui en vouloir, son but n'était sans doute pas de vous blesser. fis-je pour tenter d'alléger nos présentations qui menaçaient de s'engouffrer sur un chemin glissant. Peut-être avais-je tort, mais c'était là l'un de mes principal trait de caractère : j'avais tendance à accorder ma confiance un peu trop aisément, ce qui en ma position, s'avérait parfois dommageable...

Pour elle, le sujet semblait clos ou alors ne souhaitait-elle pas en confier davantage à la parfaite inconnue que j'étais. Ce qui était parfaitement compréhensible. Alors, elle chercha à se renseigner sur mon identité. Evidemment. Je n'avais pas eu le réflexe de le faire car ses yeux clairs ne laissaient en rien présager sa cécité et depuis des années à Lakewood, jamais une telle question ne m'était plus posée.
⋄ Pardonnez-moi. Hope Taylord, ravie de faire votre connaissance. J'avais avancé la main par automatisme avant de me rendre compte que mon interlocutrice ne pouvait la voir. Et je ne souhaitais pas engager une poignée de main forcée alors, je laissais mon bras retomber le long de mon corps, un peu troublée par mon manque de tact si inhabituel. Aussi étrange que cela puisse paraître, j'avais consciemment choisi de me présenter ainsi. Sans titre, sans rang. Pour une fois, j'avais l'opportunité que l'on me considère comme la femme que j'étais et non pas uniquement comme la Maire de la ville, bonne à apposer sa signature lorsque cela était nécessaire. D'ailleurs peut-être que c'était une précaution inutile et que la jeune femme associerait mon nom à mon identité complète. Cela n'avait pas d'importance, je n'aimais pas me mettre en avant car certes, j'avais remporté les suffrages mais à l'origine, ce poste n'aurait jamais dû me revenir...

⋄ Les réceptions de cette envergure sont fréquentes ici et pourtant, c'est la première fois que l'on se rencontre. N'aimez-vous donc pas ces manifestations ? demandais-je à mi chemin entre la curiosité et l'affirmation. J'avais sans doute des défauts, mais mon manque de mémoire n'en était pas un. Je parvenais généralement à me souvenir des visage, j'étais assez physionomiste.

Ce monde est-il pour toi ?

Evidemment, je vis la surprise se peindre sur ses traits lorsque je déclinais mon nom. A quoi m'étais-je attendue ? Après tout, ce n'était pas parce que l'on ne pouvait me voir que l'on ne pouvait pas m'identifier. Et puis, cela voulait dire que la jeune femme était au fait de la politique de sa nouvelle ville d'adoption et c'était là, un bon point. Sa réaction, bien que très polie, me mit néanmoins légèrement mal à l'aise car elle semblait alors me donner beaucoup plus d'importance que je n'en avais en réalité...
⋄ Vraiment ? Et pourquoi cela ? lui demandais-je, surprise lors qu'elle me confia que c'était une chance pour elle de me rencontrer et qu'elle ne pensait pas que cela soit un jour possible. Pourtant, je m'estimais comme une femme accessible, et je faisais en sorte d'avoir des permanences les plus larges possibles afin de justement, pouvoir créer un lien avec mes concitoyens qui en réclameraient le besoin. Mais à la voir ainsi, elle semblait croire que j'étais inatteignable, à la manière d'une actrice trop populaire qui ne se confondait pas avec la population. Mais il fallait bien l'admettre, je n'étais ni une Nicole Kidman, ni une Angelina Jolie. J'étais juste...Hope Taylord, Maire de la petite ville de Lakewood, Massachusetts.

Elle m'avoue ensuite, ne pas être une grande admiratrice ce des festivités ce qui me semblait difficile à croire. Si elle était ici aujourd'hui, ce devait être par sympathie pour sa famille ou alors, parce qu'elle y avait été obligée. Alors j'essayais de dédramatiser un peu, au moins pour la faire sourire. Je m'approchais pour parler légèrement moins fort, à la manière d'une confidence :
⋄ Vous savez, il y a quelques techniques à adopter dans ce genre d’événements. Ayez en tête que la plupart des convives ne sont là que pour le traiteur et non par véritable charité, il vous suffira donc à l'avenir de suivre la clameur générale. fis-je dans des effluves de jasmin. Rares étaient les invités qui se déplaçaient par intérêt de la cause, c'était sans doute le plus navrant de la chose. Mais malheureusement, il est très difficile de changer les mentalités, surtout les plus dérangeantes.

⋄ Je crains de ne pouvoir me vanter d'une telle chose et de devoir, de surcroît, utiliser la même excuse que vous, Mademoiselle Karlsen. Lorsque mes responsabilités me le permettent, je fais en effet le maximum pour me rendre aux différentes manifestations de la commune. Et les réceptions de Mme. Helsink en font partie : si ma présence y est requise, évidemment. Les occasions étaient pourtant nombreuses pour une si petite municipalité entre les réunions, les assemblées, les réceptions comme celles-ci, les concerts de bienséances, les opération caritatives...et mon devoir était de ne léser personne et que chacun soit logé à la même enseigne. En y pensant, peut-être devrais-je montrer un peu plus reconnaissante pour tout ceci car une ville qui bouge était une ville en bonne santé et je ne mesurais peut-être pas très bien cette chance.

Ce monde est-il pour toi ?

Il semblerait, au vu de sa réponse, que j'avais visé juste. Cette femme semblait nourrir une admiration sans limites pour moi et cette situation me mettait mal à l'aise. Je me mordillais brièvement la lèvres avant de hausser les sourcils et de fixer le sol, les joues légèrement rosies par les compliments. Je ne savais pas exactement comment il convenait de réagir face à cela et je n'étais pas mécontente que ma réaction passe inaperçue et soit invisible de mon interlocutrice.
⋄ Oh...et bien..c'est très gentil à vous me confier ça... commençais-je, maladroitement et un peu incertaine.Vous savez, on est important que parce que les autres le pensent...je ne me sens pas si différente à vrai dire. fis-je humblement. Je reportais les yeux sur Clémence pour la dévisager. Elle parlait avec franchise et de telles paroles étaient rares, surtout avec la position que j'avais au sein de la ville. Etre à la tête de quelque chose, c'est s'exposer aux remarques et aux critiques, c'est voir ses choix sans cesse remis en question et c'est souvent devoir faire des concessions au détriment de son bonheur personnel. Aussi, sans doute ne l'avouerais-je jamais, mais savoir qu'au moins quelqu'un était satisfait de ce que j'essayais d'accomplir à Lakewood me réchauffait le cœur.
Se rendant compte alors que ses paroles avaient pu être maladroites, elle s'excusa et j'esquissais un faible ce n'est rien.. à mi-voix. Un temps muet s'installa entre nous, pendant qu'elle buvait une gorgée, avec gêne.

Ceci était fait, elle changea de registre en choisissant de rebondir sur mon précédent trait d'humour. Je souris à mon tour, bien qu'elle ne puisse pas le voir.
⋄ Tout dépend de ce que vous venez chercher.. d'un signe de tête accompagné d'un élégant revers de main, je déclinais l'offre que l'on me faisait d’accepter une coupe. .. mais c'est encore là, le meilleur moyen que j'ai trouvé pour m'approcher du buffet en tout impunité. terminais-je en faisant malicieusement allusion à la raison de notre rencontre.

Puis elle sembla hésiter et me demanda finalement si je lui permettais une question. Immédiatement, je fronçais les sourcils car ce genre de tournure n'engageait généralement rien de bon. Soit c'était un sujet qui s’avérait embarrassant, voire déplaisant. Ou alors il s'agissait de quelque chose de bien trop personnel pour être ainsi déposé sur la table des racontars publics. Je croisais les bras sur ma poitrine sans m'en rendre compte, position de défense instinctive.
⋄ Oui bien-sûr. concédais-je malgré tout. Elle semblait sympathique et sans doute ne devais-je pas y voir de menace ou quoique ce soit de négatif. Il faut dire qu'en cette brève période de mon mandait, j'avais eu à subir un certain nombre d'interrogatoires avec des à-propos de ce genre et la plupart portaient sur "l'Affaire David Taylord" comme ils aimaient à l'appeler. Mais elle n'eut pas le temps d'en dire davantage qu'une tierce-personne vint s'inviter. Dans notre conversation du moins car cet endroit ne restait ni plus ni moins que sa demeure légitime car il s'agissait de Madame Helsink.

Je hochais la tête pour toute réponse car son affirmation n'en demandait pas d'autre. En effet, j'avais fait la connaissance de Clémence comme elle et les quelques cinquante autres personnes avaient pu également s'en rendre compte. A moins que cette grandiloquence ne soit destinée qu'à mon interlocutrice vu qu'elle ne saurait me voir de ses propres yeux...mais qu'elle ne se fasse donc pas de soucis, je savais me présenter seule. Elle avait passé son bras autour des épaules de Clémence et lui déposa un rapide baiser sur la joue si bien que j'avais du mal à croire ce que cette dernière m'avait fait sous-entendre sur sa tante précédemment. Pourtant, elle semblait l'apprécier. Mon habituel sourire professionnel reprit place sur mon visage :
⋄ Très bien, merci. Je me dois de vous féliciter Madame Helsink : cette réception semble être une réussite, comme toujours. fis-je en levant le menton pour lancer un regard aux alentours qui viendrait assurément confirmer mes dires.